dimanche 6 février 2011

Pour commencer : une orientation rendue possible grâce à différents facteurs.

Chaque année des millions d’oiseaux effectuent des migrations saisonnières. Ceci pose la question de l’orientation. Il s’avère que différents facteurs permettent aux oiseaux migrateurs de s’orienter : ils utiliseraient l’odorat (le nez étant très sensible), les astres, une horloge biologique (position du soleil en fonction du temps) et des repères  visuels (mers, déserts, champs,...). Cependant, après plusieurs débats menés au cours des quinze dernières années  on a prouvé que  la sensibilité au champ magnétique terrestre  apparait comme l’un des principaux régulateurs de leur orientation lorsque les autres repères vus précédemment sont insuffisants ou inexploitables.

Sur cette carte on observe différents trajets de migration empruntés par diverses espèces :
·         En bleu on observe celui des oies naines : cette espèce passe l’été au nord de la Scandinavie mais rejoint son quartier d’hiver en empruntant deux voies différentes :
-(trajet bleu clair) l’une passe par l’Allemagne pour rejoindre la Grèce
-tandis que l’autre (trajet bleu foncé) passe par la Russie pour atteindre la mer Noire.
·         En orange et rouge on observe celui des cigognes : cette espèce lors de sa migration progresse le jour entre l’Europe et l’Afrique et se pose la nuit.
-les cigognes de l’ouest de l’Europe (trajet en rouge) migrent vers l’Afrique du nord et de l’Ouest en passant par le détroit de Gibraltar.
-celles de l’est (trajet en orange) passent par Israël et le Sinaï pour atteindre le Soudan et la Tanzanie voire l’Afrique du Sud.
·         En vert on observe celui des hirondelles noires : à la fin de l’été, elles effectuent un parcours vers le Sud de 6800km à raison de 150km par jour.
Comment les oiseaux s’orientent t’ils alors grâce au champ
magnétique terrestre ?
Une expérience fut menée sur des rossignols prognés en 2001 : avant de traverser le Sahara, ces oiseaux, venant de Scandinavie, s’arrêtent en Egypte pour reconstituer leurs réserves de graisse. Avant leur départ en migration, les chercheurs ont capturé et maintenu en captivité deux groupes de rossignols prognés, l’un soumis artificiellement au champ magnétique égyptien, l’autre au champ magnétique suédois. Les chercheurs ont constaté que les oiseaux du premier groupe constituaient des réserves de graisse significativement plus importantes que ceux du deuxième groupe. Nous mettons ainsi en évidence la relation entre le champ magnétique terrestre et l’orientation des oiseaux.

I. Caractérisation du champ magnétique terrestre.

  Un champ magnétique est un champ vectoriel ayant une direction, un sens et une valeur, il s’exprime en Teslas de symbole (T). Il est la résultante de ses composantes verticale ( V)et horizontale(H), ainsi on écrit := H + V.




 
 
  Le champ magnétique terrestre est généré par les mouvements de fer liquide se produisant dans la partie externe du noyau de la Terre (celui-ci est en effet composé à 80% de fer). Les températures  régnant  dans le noyau étant élevées, le fer perd sa capacité d'agir comme un aimant permanent. L’effet de  dynamo, c'est à dire la production d'un champ magnétique constamment maintenu par un courant électrique circulant dans le noyau, est alors nécessaire. Un champ magnétique primordial ou initial (solaire, interplanétaire, galactique) a peut-être été nécessaire au début des processus. Le champ magnétique terrestre se comporte comme un dipôle magnétique dont les pôles sont situés à proximité des pôles géographiques. Son intensité est faible, elle est d’environ 50 µT. On remarque que le Nord magnétique n’est pas confondu avec le Nord géographique  cependant il s’en rapproche à raison de 40 km par an.
Ainsi la polarité du champ magnétique terrestre s’inverse périodiquement, au cours des temps géologiques il s’est inversé 23 fois en 5 millions d’années.  Aux dernières nouvelles,  les pôles magnétiques se situeraient à 11,5° des pôles de rotation (pôles géographiques) de la Terre : l’un au nord-ouest du Canada (pôle arctique) et l'autre dans le sud de l'océan indien (pôle antarctique).






Les lignes de force du champ quittent le sol perpendiculairement au pôle Antarctique puis s’incurvent autour de la Terre pour y rentrer perpendiculairement au pôle Arctique. (Elles sont  déformées par le vent solaire ce qui leur donne une forme moins circulaire ; le vent solaire est un flux de plasma constitué essentiellement d'ions et d'électrons qui sont éjectés de la haute atmosphère du Soleil. Ce flux varie en vitesse et en température au cours du temps en fonction de l'activité solaire.)




 





L’instrument utilisé pour mesurer l’inclinaison magnétique est appelé boussole d’inclinaison (représentée ci-contre) : elle permet de mesurer l'angle que fait une aiguille aimantée avec l'horizontale alors que cette aiguille est dans le plan du méridien magnétique.
La boussole d’inclinaison est composée d’une aiguille aimantée mobile autour d'un axe horizontal devant un cadran circulaire, vertical, gradué en degrés.
Il suffit d'orienter le cadran circulaire vertical dans la direction sud-nord. La position de l'aiguille donne alors la valeur de l'inclinaison magnétique.








L’ensemble des lignes du champ magnétique  forment la magnétosphère : la région dans laquelle les phénomènes physiques sont dominés ou organisés par son champ magnétique ; elle se situe au dessus de l’ionosphère soit  entre 800 et 1000 kilomètres d’altitude.  Mais elle se fait encore ressentir à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de la Terre.







Nous réalisons deux expériences afin d’illustrer la façon dont les oiseaux se déplacent par rapport aux lignes du champ magnétique terrestre :

1)      Lors de la première expérience menée, nous mettons en évidence les lignes de champ magnétique.
Nous disposons du matériel suivant :
une plaque de verre
un peu de limaille de fer
un aimant droit
et un tamis.




On place l’aimant en-dessous de la plaque.





                  
                   On saupoudre alors sur celle-ci de la limaille de fer à l’aide d’un tamis.






On observe alors que la limaille de fer s’organise selon les lignes de champ générées par l’aimant.



2)      Lors de la seconde expérience, nous modélisons l’orientation des oiseaux par rapport aux lignes de champ.
Nous conservons le même matériel et la même disposition de celui-ci, mais nous utilisons des boussoles qui vont symboliser  les oiseaux.
Nous disposons les boussoles sur la plaque, sur les lignes de champs.
Nous observons que leurs aiguilles sont tangentes aux lignes de champ qui s’orientent du Nord vers le Sud.



Lors de cette expérience, l’aimant représente la Terre. La limaille de fer a permis de modéliser les lignes de champ autour de l’aimant, comme les lignes de champ sont en réalité autour de la Terre.
Nous voyons, d’après cette expérience, que l’aiguille de la boussole, composée de magnétite s’oriente tangentiellement aux lignes de champ. La magnétite contenue dans le bec des oiseaux devrait donc s’orienter de la même manière que celle des aiguilles des boussoles comme le montre l’image ci-dessous.


II. La perception et l'utilisation du champ magnétique par l'oiseaux.

Chez les oiseaux l’orientation grâce au champ magnétique terrestre est une aptitude innée. En effet une expérience menée sur une vingtaine d’oiseaux (capturés au cours de leur migration ou dès l’éclosion) consistant à les placer dans des enceintes appelées  « cages de Emlen »  où l’on peut faire varier l’orientation et l’intensité d’un champ magnétique terrestre,  montre que les oiseaux prennent une direction déterminée par le champ magnétique ambiant (pour des intensités semblables à celles du champ magnétique terrestre). Le champ magnétique stimule  en effet certains récepteurs sensoriels.
Il s’agit tout d’abord de cristaux de magnétite situés dans un tissu épais de 1 à 2 millimètres à la base du bec et surtout sur la partie charnue, à la limite de la partie cornée et de la partie emplumée, désignée sous le nom de «cire».Au microscope, on trouverait plus de dix millions de ces petits cristaux tous quatre fois plus longs que larges.


Cristaux de magnétite, on constate qu’ils sont en effet beaucoup plus longs que larges.


Ils ont été découverts pour la première fois en 1963 dans des bactéries. Ce sont des particules d’oxyde de fer  (soit le même composé que les aiguilles d’une boussole), de formule Fe3O4,qui s’orientent selon la direction du champ, et permettent aux oiseaux de différencier le  «haut» du  «bas» dans le sol.





Ces particules se comportent comme les aiguilles d’une boussole en s’orientant le long des lignes de champ. Le champ magnétique étant très faible, il ne peut agir sur l’oiseau qu’à l’échelle microscopique. En effet, les cristaux se déplaceraient collectivement ce qui entrainerait des contraintes sur certaines cellules qui lanceraient alors des signaux chimiques au cerveau. Une expérience consistant à appliquer un champ magnétique intense sur les becs de pigeons montre effectivement qu’il est possible de démagnétiser ces cristaux de magnétite (comme une carte magnétique perdrait ses propriétés au voisinage d’un autre aimant). Enfin, la magnétite aurait un rôle dans la détection de la puissance du champ magnétique terrestre mais non dans la direction du champ. C’est pour cela qu’il existe d’autres facteurs qui permettent aux oiseaux de s’orienter. 
 Ainsi, on trouve également une protéine, appelée cryptochrome, une molécule photoréceptrice localisée dans les cellules ganglionnaires de la rétine, dont elle est d’ailleurs un pigment. Chez les passereaux migrateurs la magnéto réception dépend de la lumière, ainsi elle est associée à la photo réception. L’existence d’une interaction entre la longueur d’onde de la lumière et la magnéto réception a été retrouvée chez les rouges-gorges, migrateurs nocturnes, montrant que la direction choisie est la même sous la lumière verte, bleue ou blanche ( ce qui correspond à de courtes longueurs d‘ondes). En revanche, les oiseaux sont désorientés dans le noir mais aussi en présence de lumières rouge ou jaune (longues longueurs d‘ondes). Cela prouve donc que les courtes longueurs d’ondes agissent sur le cryptochrome.
Dans la rétine (a) les photorécepteurs  (les cônes et les  bâtonnets (b)) convertissent les signaux lumineux perçus (photons)  en signaux électriques qui passent ensuite dans les cellules ganglionnaires dont les axones forment les fibres nerveuses du nerf optique et qui conduisent alors le message électrique jusqu’au cerveau.Les cônes permettent la vision de jour, tandis que les bâtonnets permettent la vision scotopique, c’est-à-dire avec une luminosité faible, donc plutôt de nuit. Ces deux types de cellules contiennent de la rhodopsine : un pigment protéique photosensible responsable de la sensibilité de l’œil à la lumière. La rhodopsine est contenue par des disques membranaires d’une épaisseur d’environ 20 nm, écartés d’environ 20 nm également, et situés dans les cellules photoréceptrices (c). Le cryptochrome sensible au champ magnétique serait localisé entre les disques membranaires (d). En (f)est seulement représenté le cryptochrome rattaché à un disque.



 




Lorsque les molécules d’un photo pigment rétinien sont excitées par un photon (particule composant la lumière) on constate l’apparition de paires de radicaux ionisés. Les molécules de cryptochrome perdent un électron sous l’effet de certaines lumières (bleues ou vertes) et deviennent donc des molécules très réactives s’alignant le long des lignes de forces du champ magnétique permettant ainsi l’orientation de l’oiseau.Ces molécules ont une durée de vie assez longue pour permettre la réception. 







Le gène du  cryptochrome est présent dans tout le règne vivant mais s’exprime différemment  selon les groupes et les espèces. Par exemple, nous nous sommes rendu compte que le cryptochrome impliqué est exprimé la nuit, en période de migration, dans les cellules ganglionnaires de la rétine, alors qu’une autre espèce d’oiseau, non migrateur (le diamant mandarin) n’exprime jamais ce cryptochrome, montrant ainsi son rôle dans la magnéto réception.
Lorsqu’on examine le cerveau d’un oiseau s’orientant de nuit, on constate que seul le secteur cérébral responsable de la vision, le Cluster N, est très actif. Cette région de leur cerveau, serait impliquée dans l’orientation par rapport au champ. Il semblerait que les oiseaux visualisent le champ magnétique terrestre et «voient» alors le magnétisme de la Terre pour s’orienter. D’autre part, quand la lumière frappe la rétine, donc le cryptochrome,  la chimie de ces molécules change et le magnétisme peut les influencer. Ces molécules de cryptochrome agiraient alors sur les cellules photosensibles de la rétine et créeraient  des images qui aideraient l’oiseau à «naviguer». L’existence d’une connexion directe entre les cellules photosensibles et le Cluster N est donc mise en évidence. Ce lien direct entre les yeux et le Cluster N est démontré par une expérience menée par des chercheurs allemands ayant injectés dans des yeux de Fauvettes en migration un traceur spécial coloré dont le trajet à travers les nerfs optiques (nerf trijumeau) peut être suivi, et un autre traceur dans le Cluster N. Leurs travaux montraient que, lorsque l’oiseau s’oriente, ces deux substances se déplaçaient et se retrouvaient dans le Thalamus (indiqué par la flèche violette sur le deuxième schéma).






Sous l’action des molécules de cryptochrome les oiseaux verraient les lignes du champ magnétique comme une superposition "d’ombres et de lumières" par-dessus le spectre lumineux visible.
Lorsque les oiseaux bougent leurs têtes, faisant ainsi changer l’angle entre celle-ci et le champ magnétique terrestre,  ces zones d’ombre se déplaceraient par-dessus leur champ de vision. Les oiseaux utiliseraient alors ce motif d’ombres mobiles pour s’orienter en  respectant le champ magnétique.



(Vue panoramique de Francfort en Allemagne) Le document  montre le paysage perçu par un oiseau volant à une altitude de 200m. Son champ visuel est modifié par le « filtre magnétique », c’est-à-dire les zones d’ombres qui s’y superposent afin de reconstituer les lignes de champs.
Le champ magnétique seul est représenté par des zones de lumière sur fond gris (B). Concrètement l’oiseau calque ce qu’il perçoit du champ magnétique, c’est-à-dire ces zones de lumière, sur le paysage(A). 




                La boussole aviaire ne ressemble en rien à la boussole utilisée par les hommes. En effet, elle n’indique pas le nord et le sud, mais l’inclinaison par rapport à la verticale de la Terre(en orange sur le schéma).Par exemple, sans changer les pôles, mais en inversant simplement la composante verticale, des chercheurs sont parvenus à faire décoller des cobayes à l’opposé de leur choix habituel, ils ont effectivement réussi à faire partir virtuellement des rouges-gorges plein nord en hiver. Si le champ magnétique s’inversait, les oiseaux n’en modifieraient pas plus leur migration puisque leur boussole indique plutôt les directions « vers le pôle » et « vers l’équateur  ».  Ils sont sensibles à l’inclinaison des lignes du champ mais non à leur polarisation. Les oiseaux sont sensibles à l’angle  formé par les lignes de champs avec l’horizontale (en bleu sur le schéma). Cet angle diminue avec la latitude, ainsi il passe de 90° aux pôles à 0°l’équateur.




 Sur le schéma : la flèche rouge représente un oiseau qui, pour aller du Sud au Nord, "remonterait" les inclinaisons magnétiques. La polarisation se repère par rapport à l’horizontale (axe  des x), tandis que c’est par rapport à la verticale (axe des y) que se repère l’inclinaison.

En A : nous constatons bien que l’angle formé par la ligne de champ avec l’horizontale est de (environ) 90°, puisque la flèche rouge se confond avec l’axe des y c’est-à-dire la verticale.

En B : nous observons que la polarisation de la flèche rouge sur la ligne de champ est négative mais son inclinaison positive.

En C : nous constatons bien que l’angle entre la ligne de champ et l’horizontale vaut 0° puisque la flèche rouge est confondue avec l’axe des x c’est-à-dire l’horizontale.

En D : nous remarquons que la polarisation et l’inclinaison de la flèche rouge sont négatives.




Et pour conclure...

  Ainsi, nous pouvons dire que les oiseaux migrateurs réussissent à  « garder le nord » grâce à plusieurs éléments naturels tels que le relief, les odeurs, la position des étoiles et du soleil … mais surtout grâce au champ magnétique terrestre. Celui-ci peut être perçu par les oiseaux à l’aide de deux « outils ». Tout d’abord grâce à des cristaux d’oxyde de fer situés dans le bec (la magnétite) qui, en se comportant comme un « compas d’inclinaison », permettent à l’oiseau de s’orienter. La magnétite permettrait plutôt de mesurer l’intensité du champ magnétique. Ensuite, grâce à la molécule de cryptochrome, qui permet surtout à l’oiseau de distinguer la direction des lignes de champ. Cette molécule change de forme au contact de la lumière (bleue ou verte) et permet la modélisation des lignes du champ magnétique chez l’oiseau.  Cependant la manière dont les oiseaux peuvent percevoir le champ magnétique terrestre grâce à la molécule de cryptochrome  reste encore floue. Effectivement, à aujourd’hui, les mécanismes leur permettant de visualiser les lignes de champ en tant que zones d’ombres qui se superposeraient à leur champ de vision restent hypothétiques, et les scientifiques ignorent toujours le lien qui puisse être établi entre cette perception et les réactions chimiques entrainées par le cryptochrome. Il faudra donc encore bien des recherches pour pouvoir élucider ce mystère qu’est l’orientation des oiseaux…